Rédactrice principale : Nadia Fartas
École primaire Saint-Jean-Baptiste de la Salle ; école secondaire Saint-François-Xavier (de la Sixième à la Quatrième) ; Troisième chez les Jésuites d’Evreux, en 1939 ; lycée Louis-le-Grand au début des années 1940 (Première, Terminale), puis une année d’hypokhâgne.
Parents catholiques pratiquants
Dans Curriculum vitae, l’écrivain fait part de sa proximité avec les mouvements politiques et intellectuels à gauche et à l’extrême gauche (Parti communiste, mouvement trotskiste, marxisme, Lutte ouvrière, Socialisme et Barbarie) au milieu des années cinquante, tout en affirmant sa distance vis-à-vis de toute adhésion à un groupe ou à un parti, attitude qu’il a toujours conservée par la suite, préférant, s’il le fallait, la posture du « compagnon de route » à celle du « militant ». L’écrivain précise ainsi la manière dont il considère les relations entre littérature et politique : « […] à des périodes particulièrement tendues, je me suis engagé. Par exemple, j’ai signé le Manifeste des 121, contre la guerre d’Algérie. Il y a des moments où l’écrivain devient un traître s’il ne jette pas dans la balance l’autorité morale dont il se trouve investi. Cela dit, je n’aime guère les pétitions, les chartes ni les déclarations de ce genre. D’abord, parce que j’ai horreur de parapher des textes que je n’ai pas rédigés moi-même, textes dont la rhétorique me déplaît la plupart du temps. Et s’il m’arrive, pour la bonne cause, de m’engager malgré tout, je sais que la chose est souvent vaine : lorsque vous trouvez deux cents ou trois cents signatures au bas d’une revendication, elles se neutralisent les unes les autres et perdent leur efficacité. Si des journalistes veulent connaître mon avis sur tel ou tel sujet, ils peuvent venir m’interroger : je donne une réponse personnelle, avec ma sensibilité et mon propre langage. Le malheur de la politique, c’est que les mots qu’elle utilise sont totalement corrompus, au sens moral et linguistique : un écrivain ne saurait avaliser la langue de bois, et encore moins l’utiliser à son tour quand il prend parti. Mais c’est surtout en écrivant ses romans ou ses poèmes qu’il s’engage : le style n’est jamais neutre, jamais innocent, il peut cautionner l’ordre établi ou bien, au contraire, ne pas s’y conformer et le subvertir. Le vrai choix politique est là 1). »
1944, inscription en 1ère année de Lettres à la Sorbonne, licence de philosophie à la Sorbonne l’année suivante, où il suit l’enseignement de Jean Wahl et de Gaston Bachelard, qui fut son directeur de mémoire de maîtrise (titre du mémoire : « Les mathématiques et l’idée de nécessité »). Prépare l’agrégation de philosophie en 1947-48 avec un groupe d’étudiants parmi lesquels Jean-François Lyotard, Roger Laporte, Léon-Louis Grateloup.
Cours de violon et de dessin dans l’enfance.
Après une première « thèse fantôme 2) » intitulée « Les aspects de l’ambiguïté en littérature et l’idée de signification », envisagée sous la direction de Jean Wahl, et à la suite d’autres projets de recherche, Michel Butor soutient une thèse sur travaux (« Répertoires ») le 7 février 1973, à l’université de Tours. Le jury est composé de Jean-Pierre Richard (rapporteur), Léon Cellier, Michel Raimond, Jean Starobinski et Jean Duvignaud (organisateur de la soutenance). Il obtient la mention Très honorable.
Portier au Collège philosophique, puis secrétaire de ce même Collège (fondé entre autres par Jean Wahl, Georges Bataille et Marie-Magdeleine Davy) ; professeur remplaçant de philosophie au lycée Stéphane Mallarmé (Sens, janvier 1950) ; automne 1950, nommé professeur de français au lycée de Minieh (Egypte) ; octobre 1951-juin 1953, lecteur à l’université de Manchester ; 1954, professeur de français à la Mission laïque de Salonique (Grèce) ; puis Michel Butor reprend le cours de Roland Barthes à l’Ecole de préparation des professeurs de français à l’étranger, à la Sorbonne ; automne 1956, se rend à Genève pour y occuper un poste de professeur (philosophie, français, latin, histoire-géographie) à l’Ecole internationale ; lecteur aux Editions de Minuit à la fin des années 1950 ; lecteur chez Gallimard ; visiting professor (français) à Bryn Mawr College (Etats-Unis) ; 1965, remplace Roger Kempf à Evanston aux Etats-Unis ; 1969, professeur invité à l’université de Vincennes ; 1969-70, professeur invité à Albuquerque ; 1969, professeur au Nouveau-Mexique ; 1970-73, professeur invité à Nice ; 1973-74, professeur invité à Albuquerque ; 1974-75, professeur invité à l’université de Genève ; en 1975, quitte l’Université française, qui ne lui a jamais offert de poste, pour intégrer l’université de Genève qui lui ouvre ses portes (il y sera dénommé le « professeur en salopette ») ; 1982, professeur invité à l’université de Mayence ; 1989, professeur invité à l’université Rikkyo de Tokyo ; quitte l’Université le 19 juin 1991 et poursuit ses conférences à travers le monde.
Champ vaste avec une prédilection le XIXe et le XXe siècle
Michel Butor insiste sur l’importance de l’école de Genève dans son approche critique de la littérature : « Elle m’a beaucoup apporté. Ce que je découvrais, au contact de Georges Poulet, de Jean Starobinski ou de Jean Rousset, c’était une approche très subtile, très originale de la littérature. Cette approche, on pourrait la résumer en deux points. Premièrement, la primauté donnée au texte, c’est-à-dire la fidélité absolue. Deuxièmement, l’ouverture sur une culture aussi vaste que possible, sans aucun préjugé ni parti pris 3). » L’écrivain définit ainsi en quoi consiste le travail de la critique : « La critique, pour moi, c’est de la littérature sur la littérature. Quand on aborde une œuvre, on ne doit pas l’étouffer sous l’érudition, on doit au contraire lui donner une nouvelle énergie. L’art de la critique est un art de catalyse : en ajoutant nos propres mots à une œuvre qu’on aime, on la change 4). » L’écrivain souligne l’entremêlement de la littérature et de la vie : « L’œuvre littéraire résulte de l’existence et, en retour, l’existence est profondément bouleversée par elle. » Cette intrication Michel Butor la maintient et l’exploite notamment par les ressources de l’improvisation qu’il met au service de ses conférences et de son activité d’enseignement, qui lui fournit la matière de ses livres. À propos de ses cours, l’écrivain explique ainsi sa démarche : « J’avais préparé, évidemment, mais je ne lisais jamais de notes. J’arrivais avec le livre que j’allais commenter ; dans ce livre, j’avais glissé un certain nombre de petits signets, pour me guider. Un cours, pour moi, c’était toujours un voyage d’une citation à une autre. Des sortes d’escales 5). » Les Improvisations sont issues des enregistrements de cours arrangés mais qui restent oralisés. La double activité d’écrivain et de professeur gouverne toute son œuvre. L’enseignement fut source d’autonomie : ces « revenus réguliers […] m’ont permis de rester indépendant comme écrivain, de ne pas faire de concessions. Je peux dire que mon métier de professeur a toujours garanti ma liberté d’écrivain. 6) » Intitulée « Double vie, Double vue », sa dernière conférence en forme d’« autoportrait », prononcée le mercredi 19 juin 1991, su traduire cette relation : « Double vie, parce que j’avais une double casquette, celle du professeur et celle de l’écrivain, l’une à Genève et l’autre en France. Ces deux domiciles m’aidaient à bien séparer mes deux visages. J’ai essayé de parler des inconvénients mais aussi des avantages de cette espèce de schizophrénie : elle me donnait une double vue, une sorte de stéréoscopie, le regard de l’écrivain étant enrichi par celui du professeur et le regard du professeur étant modifié par celui de l’écrivain 7). »
(Travaux du chercheur)
(Mélanges, études, entretiens, témoignages et textes d’hommage)